The Substance, le sensoriel comme satire mordante

Le film The Substance (2024) de Coralie Fargeat propose une expérience sensorielle, esthétique et scénographique profondément marquante. La réalisatrice française nous guide dans l’exploration des pressions sociales (liées à l'apparence et au vieillissement) et de la violence psychique qu’elles nourrissent  grâce à l’élaboration ultra pointue d’un univers aussi étrange qu’effrayant. Elizabeth Sparkle (interprétée par Demi Moor) est une ancienne star déchue d’Hollywood, qui découvre une mystérieuse substance capable de restaurer sa jeunesse en transférant son esprit dans un corps plus jeune qu’on découvre sous le nom de Sue (interprétée par Margaret Qualley). Une règle simple : chacune sa semaine. 

Mais ce "remède miracle" a un coût : la dépendance, la dégradation morale, et une lutte brutale entre sa véritable identité et l’image qu’elle souhaite projeter. Entre body horror et satire sociale, le film explore les obsessions de notre société pour la jeunesse éternelle et les dérives de l’industrie du divertissement à travers des sensations acides et viscerales.

Los Angeles est traité comme un personnage. L.A est une ville superficielle/artificielle, sublimée par des plans statiques et des couleurs lumineuses voire saturées qui capturent une violence sous-jacente, un fond macabre portée par la perfection du corps et de l’image. L’esthétique rétro-futuriste inspirée des années 80 (costumes en spandex, éclairages néon et musique électro) utilise les décors pour raconter ce qui se joue intérieurement chez ses personnages. L’univers (scénographie, lumière, son) à la fois nostalgique et déformé, marqué par des références à l’univers de Kubrick n’est pas simplement un décor de cinéma. Il est une extension de l'état des personnages grâce à des espaces imaginés comme une plastique parfaite qui dénonce la déshumanisation. Par exemple, les vastes appartements d’Elizabeth Sparkle, bien qu’élégants, dégagent une atmosphère glaçante comme un reflet de son isolement, de sa solitude et de son psychisme bercé par la haine de soi à travers cet autoportrait comme seule décoration et cette salle de bain quadrillée impersonnelle dont seul le miroir crée une dimension palpable. Les lieux extérieurs à son foyer, aussi vides qu’étouffants, comme ces casiers blancs immaculés destinés à recevoir la substance dans une zone à l’abandon, ou ce couloir orange iconique près du plateau de tournage, renforcent cette impression d’une vie privée de son essence. Chaque transition entre ces espaces est un contraste puissant : d’un côté, le faste de son passé de star ; de l’autre, la solitude pesante de son présent. Cette dualité entre le brillant et le chaos raconte autant que les dialogues eux-mêmes. La réalisatrice ancre le récit dans un cadre à la fois familier et dérangeant où le milieu du divertissement devient un miroir sombre des vanités et de l’obsession pour l’esthétique de soi.

L'influence du maître du body horror David Cronenberg est omniprésente. Le traitement viscéral des transformations corporelles rappelle des œuvres comme La Mouche ou Crash, où le corps devient le théâtre de métamorphoses grotesques et effrayantes. Coralie Fargeat s’est entourée de spécialistes comme Olivier Afonso (qui a travaillé sur Grave) pour créer des scènes de body horror spectaculaires. Ces effets, permettant d’esthétiser la dégradation et la manipulation du corps, conservent une dimension tactile et texturée qui amplifie l’immersion totale du spectateur dérangé par le bruit d’un os qui craque et dégouté par le son d’une peau qui se déchire.

En tant que fluide transformateur, la substance s’inscrit dans une tradition esthétique de la science-fiction où des potions étranges permettent des mutations (je pense à The Fly ou même à des œuvres plus modernes comme Under the Skin). Son aspect gélifié, sa couleur verte et luisante fait écho aux codes visuels des éléments naturels toxiques comme le venin ou la bile et des produits chimiques dangereux. Ce choix chromatique apparait comme dualité entre vitalité et corruption. La fluorescence renforce son aspect déstabilisant et ambigu comme un avertissement silencieux des effets psychiques et physiques catastrophiques à venir, que je vous invite vivement à découvrir en salle en ce moment. Attention, soyez bien accroché et conscient de la violence des scènes. On ne ressort pas indemne car nos sens sont mis à rude épreuve pendant plus de 2h et c’est ce qui fait de The Substance l’un des plus gros chefs d’œuvre de cette décennie.

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